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— Voici le palais Frangipane, dit Casse-Noisette. Marie était toute concentrée dans la contemplation de ce palais merveilleux ; cependant elle remarqua que le toit d’une grande tour manquait tout à fait, et que des petits bonshommes, placés sur un échafaudage de zinc, semblaient vouloir le rétablir. Avant qu’elle eut eu le temps d’interroger Casse-Noisette à ce sujet, celui-ci continua ainsi : — Il y a peu de temps ce beau château fut menacé d’une affreuse dévastation, sinon d’une destruction complète. Le géant Gourmet passa par ici, mangea d’un seul coup le toit de cette tour, et rongea un peu de la grosse coupole ; les bourgeois lui abandonnèrent un quartier de la ville et une partie assez considérable du bois Confiture en tribut, et, son appétit étant apaisé, il s’en alla. Au même moment on entendit une douce musique, les portes du château s’ouvrirent, et douze pages en sortirent tenant en main des tiges d’œillets aromatisées, allumées, qu’ils portaient en guise de torches. Leurs têtes étaient formées d’une perle, leurs corps étaient des rubis et des émeraudes, et leurs pieds étaient d’or admirablement travaillé. Derrière eux marchaient quatre dames presque aussi grandes que la Claire de Marie, mais couvertes de costumes d’une telle magnificence, que Marie reconnut aussitôt en elles des princesses du sang. Elles embrassèrent Casse-Noisette de la manière la plus tendre, et elles criaient en même temps d’une voix attendrie : — Ô mon prince, mon cher prince ! ô mon frère ! Casse-Noisette paraissait très-ému, et il s’essuyait souvent les yeux ; puis il prit la main de Marie et dit d’un ton pathétique : — Voici mademoiselle Stahlbaum, fille d’un estimable médecin consultant. Elle m’a sauvé la vie. Si elle n’avait pas jeté sa pantoufle en temps opportun, si elle ne m’avait pas procuré le sabre du colonel en retraite, je serais descendu dans la tombe, mis à mort par les dents maudites du roi des souris. Ô Pirlipat, bien qu’elle soit née princesse, égale-t-elle en beauté, en bonté et en vertus mademoiselle Marie ?… Non, dis-je, non ! Toutes les dames répétèrent à la fois non ! Elles tombèrent en sanglotant aux pieds de Marie et s’écrièrent : — Ô noble protectrice de notre frère bien-aimé, excellente demoiselle Stahlbaum !… Et les demoiselles conduisirent Marie et Casse-Noisette dans l’intérieur du château, et dans une salle dont les murs étaient de cristal étinceiant coloré de toutes nuances. Mais ce qui plut là surtout à Marie, ce furent les charmantes petites chaises, les commodes, les secrétaires, etc., placés tout autour, et qui étaient de bois de cèdre ou du Brésil incrustes de fleurs d’or. Les princesses forcèrent Casse-Noisette et Marie à s’asseoir, et leur dirent qu’elles voulaient leur préparer un festin à l’instant même. Elles allèrent chercher une multitude de petits plats et de petites assiettes de la plus fine porcelaine du Japon, et des couteaux, des fourchettes, des râpes, des casseroles, et une foule d’ustensiles de cuisine d’or et d’argent ; puis elles apportèrent les plus beaux fruits et les sucreries les plus délicates, comme Marie n’en avait jamais vus, et commencèrent aussitôt, avec leurs mains délicates et blanches comme la neige, à presser les fruits, à écraser les épices, à râper les dragées, et enfin à s’occuper des soins du ménage. Marie vit comment les princesses s’entendaient à la cuisine ; elle devinait qu’elle allait faire un charmant repas, et elle désirait secrètement prendre aussi part aux occupations des princesses. La plus belle des sœurs de Casse-Noisette, comme si elle avait lu dans l’esprit de Marie et deviné son intention secrète, lui dit en lui présentant un mortier d’or : — Ô douce amie, vous qui nous avez conservé notre frère, soyez assez aimable pour piler ce sucre candi ! Lorsque Marie se mit à l’œuvre pleine de joie, le mortier résonnait sous ses coups comme une agréable chanson. Alors Casse-Noisette commenca à raconter en détail ce qui s’était passé dans l’effroyable bataille entre son armée et celle du roi des rats, comment il avait été à moitié battu par la lâcheté de ses troupes, et comment enfin, lorsque l’affreux roi des souris voulait le mettre à mort, Marie avait pour le sauver sacrifié plusieurs de ses sujets qui étaient passés à son service. Il raconta bien d’autres choses encore. Il semblait pendant ce temps à Marie que les paroles de Casse-Noisette se perdaient pour ainsi dire dans les lointains, comme aussi ses coups dans le mortier, et bientôt elle vit des gazes d’argent s’élever comme de légers nuages dans lesquels les princesses, les pages, Casse-Noisette et elle-même planaient dans les airs. Un étrange murmure de chants et de bruits confus se fit entendre, qui résonnait dans l’espace, et Marie, sur les nuages qui s’envolaient, montait haut, plus haut, toujours plus haut, plus haut encore ! DÉNOUEMENT. Prr ! paff !… Marie tomba d’une hauteur immense ; ce fut une secousse. Mais aussitôt elle ouvrit les yeux ; elle était couchée dans son lit. Il était gr